Vivre malgré tout

Un voyage à Kharkiv et dans le Donbass en mai 2024

Kharkiv, mai 2024, deux semaines après le début de la nouvelle offensive russe sur la ville. Des gens se baignent comme d'habitude dans une source thermale du parc de Zarjyn Yar, au cœur de la ville

Traverser l'Ukraine durant la deuxième quinzaine de mai est un grand privilège: des jours de route sur des routes étonnamment bonnes à travers des paysages fleuris et variés, des villages amoureusement entretenus, des parterres de fleurs luxuriants devant des maisons modestes et des mégapoles avec des parcs immenses et une architecture passionnante.

Les immenses champs de blé et de tournesols sur ces terres noires, toujours citées, ne sont pas aussi monotones qu'on pourrait le croire. Nous n'avons vu des champs minés et donc non cultivés que dans les environs d'Izioum, au sud-est de Kharkiv. Après 3500 km et de nombreux entretiens, l'impression générale qui se dégage n'a pas grand-chose de commun avec les reportages de guerre internationaux.

Nous sommes partis à trois pour emmener un minibus plein de bon matériel de bricolage et de dessin à des initiatives qui travaillent avec des enfants dans le Donbass. Des ami·es l'avaient collecté en Allemagne, y compris un petit générateur électrique. A cela nous avons ajouté quelques centaines de litres de notre jus de pomme des Carpates. Nos frais de voyage étaient couvert par le Forum Civique Européen, merci!

Nastya Malkyna et Genia Koroletov sont des artistes de Louhansk. Iels ont dû fuir deux fois, en 2014 et en 2022, et vivent depuis chez nous à Nijné Selychtché, tout à fait à l'ouest de l'Ukraine. Genia et Nastya ont cofondé la Luhansk Contemporary Diaspora, un réseau d'artistes d'avant-garde. Depuis 2022, iels organisent des ateliers avec des enfants de la guerre dans le Donbass et ailleurs. Iels les incitent à dessiner leur lieu préféré et enregistrent les histoires qui s'y rapportent. Il en résulte une collection de petites œuvres d'art, de souvenirs et de destins personnels.

Ce voyage devait lui aussi se terminer par un atelier de ce type dans la petite ville de Sviatohirsk (oblast de Donetsk, à 30 km du front). Malheureusement, il a dû être annulé à la dernière minute. L'administration militaire avait interdit à court terme tout rassemblement public, de crainte d'une offensive russe imminente.

Le troisième dans la voiture, c’était le chauffeur et l'auteur de ce recit, musicien et producteur de cidre et d'autres produits dérivés de la pomme au sein de la coopérative autogérée Longo maï en Ukraine. Nos origines différentes ont rendu d'autant plus passionnants nos échanges d'impressions pendant le voyage. Texte: Jürgen Kräftner, mail

La route de Kyiv vers Kharkiv

Accoutumance ou fatigue?

Après 27 mois de guerre et aucune fin en vue, il y a une certaine accoutumance, mais il y a aussi des changements. Sophie, une jeune activiste à Kharkiv qui parle souvent avec des soldat·es, a fait partie de son sentiment que la guerre pourrait durer encore 100 ans, et cet état d'esprit est très répandu. Mais personne ne nous a communiqué un désir de capituler.

Les destructions du système électrique ukrainien de ces derniers mois sont catastrophiques. Nous sommes au début de l'été et il y a déjà des longues coupures quotidiens dans toutes les régions. Quelques fois elles sont annoncées, d'autres fois non. Le premier soir de notre voyage, nous étions invité·es chez des amis à Kyiv, iels habitent sur la rive gauche du Dniepr, au 14e étage. Monter les escaliers à pied nous a bien dégourdi·es après une longue journée en voiture, les personnes fragiles en sont pour leurs frais. Heureusement, chez elleux, la pression de la conduite d'eau est suffisante même en cas de panne de courant, ce qui permet d'utiliser les toilettes, ce qui n'est pas le cas partout. Depuis longtemps, nos ami·es ignorent l'alerte aérienne, déclenchée presque quotidiennement pendant la nuit ou au petit matin. Kyiv est relativement bien protégée, mais les débris de missiles ou de drones peuvent aussi causer des dégâts parfois mortels. Les spéculations vont bon train sur la manière dont l'Ukraine pourra passer l'hiver prochain avec seulement un tiers de la puissance électrique nécessaire.

Vue de la fenêtre chez nos hôtes à Kyiv

Lors de notre voyage, la nouvelle loi sur la mobilisation venait tout juste d'entrer en vigueur. À partir du 18 mai, tous les Ukrainiens âgés de 18 à 60 ans avaient un délais de deux mois pour se manifester auprès des bureaux de recrutement. C'est là que l'on détermine s'ils sont aptes au service militaire ou s'il y a une autre raison pour laquelle ils ne devraient pas être enrôlés. Ceux qui ne le font pas sont punissables, leurs droits de citoyens seront limités. Il y a toujours des millions d'Ukrainiens potentiellement conscrits qui ne sont pas encore enregistrés par l'armée. De fait ils se cachent et risquent, en cas de contrôle, d'être immédiatement enrôlés. De nombreux hommes semblent craindre la police militaire ukrainienne plus que l'armée russe, et ils ne sortent presque jamais de chez eux. Le père d'un camarade de classe de mon fils s'est noyé en essayant de traverser la rivière frontalière Tisza, tout comme des dizaines d'autres. D'un autre côté, de nombreux hommes profitent de la possibilité de s'inscrire volontairement dans des unités de bonne réputation pour y être formés et engagés en fonction de leurs qualifications personnelles. Ils évitent ainsi d'être envoyés au front de manière arbitraire et chaotique après une courte formation, pour boucher des trous.

Kharkiv

La ville de deux millions d'habitant·es était notre première destination, nous l'avons atteint après un voyage de deux jours, bien avant le couvre-feu. Quinze jours auparavant, les Russes avaient lancé une grande attaque sur la région frontalière au nord de Kharkiv, occupant près de 200 kilomètres carrés en quelques jours. L'une des premières conséquences que nous avons remarquée lors de notre arrivée dans la ville était que notre système de navigation nous faisait toutes sortes de folies.

La deuxième ville d'Ukraine, située à seulement une trentaine de kilomètres de la frontière russe, ne ressemble à aucune d'autre et les préjugés sont – ou étaient – nombreux: le pouvoir local y serait encore plus corrompu qu'ailleurs en Ukraine, elle serait pro-russe et la population arrogante. D'un autre côté, les universités de la ville sont considérées comme les meilleures du pays, en particulier dans les domaines techniques et scientifiques, et la ville joue un rôle de pionnier dans les domaines de l'architecture et de la photographie, par exemple.

À Kyiv, nous avions rencontré une jeune volontaire de Kharkiv, Anna Nahorna.

Anna Nahorna (à droite) avec Nastya Malkyna

Après le début de la guerre, elle a abandonné son métier de manager en marketing et a créé avec des amies l'ONG Mental Recovery. Lorsqu'elle parle de son travail actuel et du mouvement bénévole à Kharkiv, elle rayonne littéralement de conviction et d'enthousiasme. Selon elle, les réseaux de bénévoles à Kharkiv dépassent en dynamisme tout ce qui existe ailleurs en Ukraine. La coopération entre les autorités, les services d'urgences et les initiatives privées serait très efficace, car la municipalité a rapidement compris qu'elle serait totalement dépassée sans les ONG. Durant les premiers mois de la guerre, Anna a aidé les personnes qui fuyaient les zones occupées par les Russes. Déjà là, aux points dits de filtration, tout le monde travaillait ensemble, les services sociaux et les services secrets, les petites et les grandes ONG. Avec le temps, l'équipe de femmes autour d'Anna et de sa collègue Sophie (que nous avons encore rencontrée à Kharkiv) est parvenue à la conviction que le traitement des personnes traumatisées par la guerre devaient commencer immédiatement, afin d'éviter que de plus en plus de personnes ne deviennent des handicapés psychiques, comme elle les appelle. Systématiquement, elles recherchent surtout les femmes et les enfants qui ont subi les coups les plus durs, notamment après la mort du père de famille ou d'autres proches. Avec son équipe, Anna organise des camps de réhabilitation dans les Carpates, avec un suivi psychologique et psychiatrique intensif. Elle permet à ces personnes de bénéficier d'un soutien psychologique aussi après les camps et estime que celui-ci devrait même être obligatoire.

« Nous considérons que l'une de nos tâches les plus importantes est de déstigmatiser la psychothérapie. Les gens en ont vraiment peur. Mais il est très important que ces familles continuent à bénéficier d'un suivi thérapeutique après le camp, c'est-à-dire qu'elles participent encore au moins à dix séances. Pour cela, nous devons en premier lieu gagner la confiance des familles. Nous pensons également à des excursions communes. Nos familles viennent principalement de la région de Kharkiv. Mais actuellement, les rencontres dans ou près de la ville ne sont pas sûres. Nous pensons plutôt à aller plus à l'intérieur du pays. Nous ne devons surtout pas mettre les enfants en danger, il y a des endroits magnifiques dans la région de Poltava, ce n'est pas loin, mais c'est sûr. »

Elle ajoute: « Les rapports sur les succès obtenus lors des camps de deux semaines, avec à chaque fois 25 enfants et 25 adultes de leur famille, sont encourageants. Nous observons très attentivement la manière dont les enfants changent pendant et après les camps. Iels commencent à communiquer entre elleux et, si tout se passe bien, iels retrouvent un rythme de vie plus ou moins régulier. Nous avons eu quelques enfants qui vivent ensemble dans des logements pour réfugié·es. Pendant le camp, iels ont commencé à se parler, et continuent à le faire aussi plus tard. »

Enfants lors d’un “Mental Recovery Camp” dans les Carpates ukrainiennes, mai 2024 source: instagram

Sur les gens qui continuent à vivre comme si de rien n'était et sur le besoin de dialogue Anna dit: « J'ai beaucoup de collègues et d'ami·es de mon ancienne vie qui vivent presque exactement comme avant. Je ne les juge pas, il faut aussi des gens qui continuent leur train train ordinaire. Pour ces personnes, tout va bien, les cafés et les restaurants sont ouverts, on peut commander des repas et des marchandises en ligne, travailler et gagner de l'argent, tout simplement. Mais nous avons absolument besoin de plus de dialogue. Un dialogue entre les bénévoles et celles et ceux qui s'accrochent à leur vie normale, et un dialogue entre les activistes, les personnes qui se limitent à supporter l'effort de la guerre financièrement et les institutions publiques. Car beaucoup de problèmes viennent du fait que chacun vit dans sa bulle. »

Aire de jeux dans un quartier périphérique de Kharkiv en mai 2024

« Notre société risque d'éclater en différents groupes qui ne se comprennent pas. Les combattant·es reviennent dans leur famille avec leurs traumatismes, iels s'y sentent complètement incompris·es et ne peuvent se confier à personne.

En ce qui concerne les personnes qui ont vécu sous l'occupation et qui ont peut-être collaboré dans une certaine mesure, nous avons déjà eu de bonnes expériences après la libération des régions à l'est de Kharkiv et à Kherson, et je dirais que notre société a plutôt bien géré la situation. Bien sûr, il y a des questions désagréables, pourquoi n'avez-vous pas fui quand c'était possible, pourquoi avez-vous continué à exercer l'un ou l'autre métier. Mais il me semble que dans l'ensemble, il y avait une assez grande tolérance. »

Nika, 16 ans, a participé à un camp de Base_UA à Nyzhne Selyshche en juin 2023. Elle continue de vivre avec sa mère à Kharkiv, mais beaucoup de ses amies sont parties et elle envisage également de quitter la ville. Elle reconnaît les différents missiles et drones au bruit qu'ils font.

Dans la cuisine de l’enfer

A Kharkiv, nous avons d'abord visité la cuisine bénévole Hell's Kitchen. Son fondateur, Ihor Horoshko, a travaillé pendant 27 ans dans le développement de logiciels, encore récemment il dirigeait une société informatique dont le siège se trouvait à Kharkiv avec des succursales à Kyiv et à Prague. Pendant les premiers jours de la guerre, il a rencontré par hasard une cuisinière professionnelle dans un abri. Avec un ami logisticien, ils ont lancé peu après la Hell's Kitchen. La première cuisine et boulangerie a vu le jour à Voltchansk, au nord de Kharkiv, et a été détruite lors de l'offensive russe récente. Depuis le début de la guerre, Ihor et sa femme ont pris cinq jours de congé. Avec une équipe de bénévoles venus du monde entier, iels préparent 1000 à 2000 repas par jour, approvisionnent les hôpitaux, les soldat·es sur le front et d'autres personnes dans le besoin. Après l'attaque russe du mois de mai, les besoins dans les hôpitaux qui traitent les soldat·es et les civil·es blessé·es se sont multipliés.

Ihor et Svetlana Horoshko sont à l’origine de la Cuisine de l’enfer à Kharkiv

La cuisine est étroite, mais bien équipée. Les meilleurs appareils ont été financés par les collectes des volontaires étrangers.

Ihor dégage une détermination tranquille. Il ne veut pas quitter Kharkiv et sait qu'il ne survivrait pas à une occupation russe. D'un autre côté, il est convaincu que les Russes ne peuvent ni prendre, ni même encercler Kharkiv. Il critique en douceur le comportement imprudent de nombreuses personnes qui ont quitté Kharkiv pendant les premiers mois de la guerre et qui sont revenues plus tard, il estime leur nombre à un million. Comme iels n'ont pas connu les tirs quotidiens, la menace est trop abstraite. En revanche, celles et ceux qui ont vécu assez longtemps sous les bombardements auraient intériorisé les réflexes nécessaires, et iels ne s'attardent pas non plus inutilement à l'extérieur.

Outre le projet de cuisine, Ihor a une autre priorité: avec quelques ingénieurs, iels ont construit un prototype de robot de déminage, un petit véhicule à chenilles. L'appareil est conçu pour le déminage des mines antipersonnel et son prix unitaire de 20.000€ est exceptionnellement bas. Il devrait bientôt être produit en série - à Kharkiv.

https://www.volunteeringukraine.com/en/volunteer-opportunities/hells-kitchen

Ce robot de déminage fonctionnant sur batterie devrait bientôt être produit en série à Kharkiv.

Une rencontre imprévue

Nina Ivanivna, 70 ans, dont 47 de professeur de russe, correspond à certains des préjugés habituels sur les habitantes de Kharkiv. C'est une femme bien déterminée, la moitié de sa famille vit en Russie, et elle parle bien sûr un russe - littéraire qui plus est. Jusqu'au début de la guerre, elle vivait dans la banlieue de Saltivka, à la périphérie nord-est de Kharkiv, construit dans les années 1970. Auparavant, 400 000 personnes y vivaient. Pendant l'occupation russe des régions à l'est de Kharkiv en 2022, Saltivka se trouvait à porté de tir de l'artillerie russe et a également été massivement bombardée par des missiles ; une grande partie de la population a alors pris la fuite, mais il y a également eu de nombreuses victimes.

Nina Ivanivna lors de notre première rencontre dans la cour de son immeuble

La famille de Nina Ivanivna possédait un autre appartement dans le centre-ville et elle s'y est installée. Son immeuble de Saltivka (rue de l'Amitié des peuples) a été touché par un missile peu après, depuis il y manque quelques appartements. Sur les murs extérieurs bombardés, quelqu'un a exprimé en grosses lettres sa haine des russes.

Nous avons loué un appartement dans le centre de Kharkiv pour notre séjour, cela nous semblait plus sûr. À notre arrivée, il s'est avéré que trois missiles étaient déjà tombées dans la cour intérieure depuis le début de la guerre. Nina Ivanivna, notre voisine, est malgré tout de bonne humeur. Elle entretient les parterres de fleurs et soutient des voisines plus âgées, qui sont un peu moins mobiles qu'elle. Elle a rompu tout contact avec ses proches en Russie. Alors qu'à l'été 2022, Kharkiv ne comptait plus qu'un demi-million d'habitants, elle en compte à nouveau 1,5 million, soit environ 70 % de la population d'avant-guerre, nous ont expliqué des habitants.

Kharkiv-Saltivka, rue de l’amitié entre les peuples, voici l’immeuble de Nina Ivanivna.

 

Le chat à la fenêtre laisse supposer que des personnes vivent encore ici.

Le jour où nous avons poursuivi notre voyage, plusieurs roquettes se sont abattues à proximité de notre logement. L'une dans le parc municipal voisin (à quoi bon?), trois autres ont détruit l'une des plus grandes imprimeries d'Ukraine pendant les heures de travail, sept personnes sont mortes et plusieurs dizaines de milliers de livres scolaires ont brûlé. Rien n'est dû au hasard. En 2022, les occupants russes ont assassiné l'auteur de livres pour enfants Volodymyr Vakoulenko dans la ville voisine d'Izioum. Plus tard, l'écrivaine Viktoria Amelina a trouvé dans le jardin de l'auteur son dernier manuscrit caché et l'a publié peu avant d'être elle-même tuée par un missile russe à Kramatorsk. Tous deux ont été publiés par la maison d'édition Vivat, et leurs livres ont été imprimés dans l'imprimerie "Faktor Druk", désormais détruite.

Mouvement Kharkiv Libre - Рух Вільний Харків

Yevhen Byelov est un jeune entrepreneur et propriétaire d'un centre de loisirs avec sauna et bain turc, qu'il a fermé après le début de la guerre. Depuis, il est le coordinateur de l'organisation de bénévoles "Mouvement pour un Kharkiv libre". En l'espace d'une demi-heure, il nous a résumé ce que son équipe a accompli au cours des deux dernières années et demie, et c'est vraiment impressionnant. Dès le début de la guerre, Kharkiv était en grand danger, les Russes arrivaient jusque dans les faubourgs. La ville était à moitié encerclée et bombardée. Les volontaires ont à ce moment-là pris en charge l'approvisionnement de quartiers entiers à la place des services publics : Repas chauds et aide humanitaire pour les personnes dans le besoin, installation d'abris antiaériens, aide aux réfugiés.

Yevhen Byelov, coordinateur chez Mouvement Kharkiv libre

“Il y avait tout un réseau de restaurants et autres cuisines collectives. Nous leur fournissions des denrées alimentaires et allions chercher des repas prêts à l'emploi. Ensuite, nous avons aidé des personnes à fuir les zones alors occupées. Après la libération de ces régions (en septembre 2022), nous avons aidé à réparer les habitations qui y avaient été détruites.”

De quoi vivent les volontaires ?

“Une partie des volontaires continue à avoir un emploi fixe et à en vivent, tout en se consacrant à notre travail commun pendant leur temps libre. Certains, comme moi, n'ont plus de travail salarié et notre ONG les soutient pour qu'ils puissent subvenir à leurs besoins.

Depuis un certain temps, notre priorité est l'aide humanitaire dans les zones libérées (à l'est de Kharkiv). Depuis la nouvelle offensive russe, nous aidons les habitants des zones concernées à fuir, nous évacuons également de nombreux animaux domestiques. Le troisième domaine d'activité est la réparation des habitations après les tirs de missiles russes. Nous sommes immédiatement informés lorsqu'un missile a frappé et nous nous y rendons. Nous apportons une aide médicale et sécurisons la zone dangereuse. Nous remplaçons provisoirement les fenêtres brisées par des panneaux d'aggloméré ou des films plastiques, et nous évacuons les débris. Nous travaillons en coordination avec les services de secours de la ville.”

Le célèbre complexe Derjprom, situé dans le centre de Kharkiv, date des années 1920. Kharkiv était la capitale de l’Ukraine - soviétique - de 1918 à 1934.

“Nous avons actuellement d'autres projets. Nous mettons en place un hôpital pour les forces d'intervention de la protection civile. Dans notre oblast, plus de 7000 hommes et femmes en font actuellement partie. Ils ont besoin d'un établissement adapté à leurs besoins particuliers, avec des médecins spécialisés et les installations adéquates, ce qui n'existe pas actuellement. Les coûts s'élèvent à environ 50 millions de hryvnas (1,2 million d'euros). Les travaux de construction sont également réalisés, du moins en partie, par des bénévoles.

Et ici, dans cette zone (nous nous trouvions dans un parc municipal au centre), il y a un centre de jeunesse municipal. Ensemble, nous planifions des cours pour les enfants. Ils apprennent comment se comporter en cas de tirs de roquettes et comment ne pas se mettre en danger avec des mines et autres objets explosives. En même temps, nous travaillons aussi avec les parents. Le bâtiment que nous voulons utiliser à l'avenir pour ces cours a été fortement endommagé après un tir de missile, nous commençons maintenant à le rénover. Il y a là toutes les pièces nécessaires et surtout des souterrains sûres.

À Kharkiv, presque tous les enfants suivent actuellement des cours en ligne. Il y a une école dans le métro et deux écoles souterraines sont en construction.”

Façades du centre-ville. Les missiles tombent généralement avant l'alerte, la distance étant trop courte. Les “frappes doubles” sont particulièrement dangereuses: 20 à 30 minutes après le premier missile, alors que les secours sont déjà sur place, les russes en envoyent un deuxième missile pour tuer un maximum de gens et surtout des sécouristes.

“Avec l'offensive russe de début mai, nous avons dû réorganiser notre travail. Maintenant, nous aidons surtout les gens des zones de front à fuir. Les processus sont bien coordonnés, chacun a sa tâche. Dans un premier temps, les personnes se trouvant dans la zone de danger immédiat sont acheminées vers des points de rassemblement, d'où elles sont transportées par de grands bus vers le centre-ville, où elles reçoivent un peu d'argent et tout ce dont elles ont besoin, avant d'être dirigées vers des logements provisoires. Ces derniers jours, nous avons également évacué de nombreux animaux domestiques. Certaines personnes veulent garder leurs animaux même pendant leur fuite, pour d'autres ce n'est pas possible.”

Et comment vous sentez-vous après plus de deux ans de guerre ?

“De mon côté, tout va bien. Je suis un peu fatigué et j'aimerais bien me reposer un peu. Je n'ai pas eu de jour de congé depuis le début de la guerre. Mais lorsque je sors de chez moi et que je sais ce que j'ai à faire, la fatigue disparaît. Je ne peux pas me reposer si je sais que les gens de la ville voisine de Vovtchansk sont en train d'être bombardés. Toute mon équipe fonctionne ainsi.

Quels sont vos besoins les plus urgents ?

“Nous cherchons des chefs de projet. Ils ne doivent pas nécessairement vivre ici. Mais nous voulons étendre notre travail et cherchons à entrer en contact avec les grands bailleurs de fonds, et pour cela nous avons besoin de personnes qualifiées, capables de formuler des projets et de rédiger des rapports.”

Nous avons invité Yevhen et son équipe à se reposer en Transcarpatie dés qu’iels trouveront le temps pour ça.

Voyage de Kharkiv au Donbass

La route nationale près de Dolyna, entre Izioum et Sloviansk, oblast de Donetsk. Les prairies sont souvent minées. Cette vidéo donne à peu près la même impression que celle que nous avons eue, sauf que la saison est différente.

Le lendemain matin, nous nous sommes mis en route en direction du sud-est, dans le Donbass. En chemin, nous avons appris du bombardement de l'imprimerie Faktor-Druk. Sur la route nationale, nous avons vu plus de véhicules de l'armée que de véhicules civils, surtout dans le sens inverse. Apparemment, des unités supplémentaires ont été transférées du Donbass vers le front au nord de Kharkiv. Après une cinquantaine de kilomètres, nous sommes arrivés dans la zone occupée par les Russes pendant environ six mois en 2022. C'est là que l'on peut voir toute la force déstructrice de la guerre. Des villages entiers ont été détruits et vidés de leur population. Nous avons vu de nombreuses machines de déminage en action et les tableaux d'avertissement pour ne surtout pas quitter la route. Nous avons été arrêtés à un poste de contrôle à Izioum et un soldat âgé nous a demandé si nous pouvions emmener son jeune camarade jusqu'à Kramatorsk, sa voiture étant en panne. Nous avons bien sûr accepté. Notre nouveau compagnon de voyage était un jeune homme sympathique, même doux. Nous avions ainsi un guide militaire pour ce tronçon de route. Beaucoup de ses camarades de combat avaient perdu la vie ici, il nous a montré les endroits et raconté ce qui s'était passé. Stanislav combat à l’armée depuis 2014, il a dit qu'il était probablement né pour cela. Originaire d'Ukraine centrale, il fait maintenant partie d'une unité d'élite. Sa femme s'est installée près du front.

A la frontière administrave entre les oblasts de Kharkiv et Donetsk, Stanislav a insisté pour prendre une photo souvenir.

Kostiantynivka

Après Kramatorsk, nous avons poursuivi notre route vers Kostiantynivka. En temps de paix, la ville comptait 70 000 habitants. Le front n'est qu'à un peu plus de 10 km, mais plus de la moitié de la population se trouve sur place. Notre destination était l'école de musique et d'art locale. La jeune directrice Alina nous a d'abord donné l'impression d'être “sur les nerfs”, mais après quelques minutes seulement, elle s'est détendue. Au début de la guerre, elle s'est réfugiée avec sa famille dans l'ouest de l'Ukraine. En automne 2022, elle est revenue chercher des vêtements d'hiver dans son appartement - et a décidé de rester. Bien qu'elle vive dans un immeuble au septième étage et qu'elle soit parfaitement consciente des risques encourus si près du front, elle ne veut repartir qu'en cas d'extrême urgence.

L'école d'art de Kostiantynivka, à seulement 10 km à vol d'oiseau de Tchassiv Yar, l'un des secteurs les plus chauds du front.

Tchassyv Yar en juin 2024. La ville est considérée comme une zone grise et des combats ont lieu quotidiennement, y compris des combats de rue menés par les unités d'élite de l'infanterie.

Alina : “Notre école d'art offre toujours des cours à 400 enfants, à quelques exceptions près - en ligne. Il y a aussi beaucoup d'enfants qui ont fui à l'étranger avec leur famille et qui continuent à suivre des cours en ligne avec leurs anciens enseignants. Avant la guerre, nous avions 700 élèves. Dans notre cave, nous organisons plusieurs fois par semaine des petites projections de films, des ateliers de peinture, des jeux etc. où les enfants peuvent donc aussi se rencontrer dans la vie réelle.”

Alina, troisième à partir de la gauche, espère que la guerre ne la forcera pas une nouvelle fois de fuire de chez elle.

Abri antiaérien de l'école d'art de Kostiantynivka. Alina nous a expliqué que des événements pour les enfants et les jeunes y sont organisés presque tous les jours : Projections de films et de dessins animés, ateliers, jeux de devinettes...

Comme toutes les institutions que nous avons visitées, l'école d'art de Konstiantynivka sert aussi de centre de distribution d'aide humanitaire et administrative pour les réfugiés. La ville accueille de nombreux réfugiés en provenance des territoires occupés proches et des localités situées directement sur le front.


Droujkivka

Lors de nos rencontres dans le Donbass, il s'agissait avant tout de soutenir les initiatives qui travaillent avec les enfants. Malgré le danger de la guerre toute proche et les fréquents tirs de missiles, des centaines de milliers de familles avec enfants continuent d'y vivre. Les écoles sont en ligne depuis des années (depuis le Covid), la plupart des activités extrascolaires se font également par visio, par exemple les cours de musique et de danse. La qualité médiocre de cet enseignement n'est pas le problème le plus important. Le manque de contacts humains entre les enfants est plus grave. Genia, Nastya et leur collègue Ania cherchent des lieux où iels peuvent organiser des ateliers avec les enfants. C'est ainsi que nous nous sommes rendues à la bibliothèque municipale de Droujkivka, où nous avons été très bien accueillies. Droujkivka est célèbre pour son halva de tournesol et sa porcelaine.

Les enfants de Droujkivka avant la guerre…

…images dans la bibliothèque de Droujkivka

Olha Volodymyrivna et sa collègue Alina de la bibliothèque municipale de Droujkivka. Des écrivains, des musiciens ou des troupes de théâtre de Kyiv et d'autres régions s’y rendent fréquemment pour des évenements culturels.

Kramatorsk

Depuis l'occupation de la ville de Donetsk en 2014, Kramatorsk est le centre administratif de l'oblast du même nom. La ville ressemble à une seule et grande garnison, elle fourmille de soldats qui se déplacent dans tous les véhicules possibles et imaginables. S'y ajoutent de nombreux volontaires étrangers, on le remarque surtout dans les cafés du centre. Le 27 juin 2023, un tir de roquette ciblé sur l'un de ces établissements a coûté la vie à l'écrivaine ukrainienne Viktoria Amelina et à douze autres personnes. Un agent local avait rapporté à son intermédiaire russe que de nombreux militaires se trouvaient dans la Pizzeria Ria à ce moment-là, ce qui était carrément faut. L'homme a été arrêté et condamné à la prison à vie.

Terykon

Non loin de là, nous avons visité le centre de jeunes Terykon (en français : terril) récemment aménagé par l'organisation de bénévoles Base_UA. https://baseua.org/kids/

Notre amie Sasha (Oleksandra Chernomashyntseva) est une jeune femme de cinéma et de théâtre qui a abandonné ses études à Prague au début de la guerre de 2022 pour faire du bénévolat avec Base_UA. Elle est l'une des forces vives de Terykon. Contrairement aux autres établissements que nous avons vus, Terykon est bien équipé et même l'abri antiaérien offre une atmosphère assez agréable. Il y a même un petit laboratoire photo. Elle nous a toutefois appris que l'administration militaire régionale avait interdit la veille tout rassemblement public de personnes en raison d'une menace accrue d'attaques russes. Terykon n'a ouvert ses portes que l'hiver dernier et accueille désormais régulièrement plus de 100 enfants des environs.

Puis nous nous sommes rendus au nouveau local de l'initiative Tato-Hub similaire et encore plus élégant. Ils ont emménagé dans une ancienne agence bancaire. Les murs épais en béton armé offrent une bonne protection contre les tirs russes.

Ateliers et soutien psychologique pour enfants et adultes au Tato-Hub sur une base quotidienne

Sacha dirige le Tato-Hub. Ici aussi, l'aide humanitaire de toute l'Europe est distribuée aux personnes dans le besoin. Des familles qui vivaient autrefois à Bakhmout et dans d'autres localités détruites et occupées plus à l'est se sont installées à Kramatorsk. Depuis peu, elles reçoivent une compensation de 500 dollars par mètre carré de surface habitable qu'elles ont perdu. Avec cet argent, certains s'offrent des appartements non loin de leur ancien domicile, ici à Kramatorsk. Les versements viennent toutefois seulement de commencer.

Sviatohirsk

Cette petite ville au nord de Kramatorsk et de Sloviansk est célèbre, du moins en Ukraine, pour ses beaux paysages et son grand monastère, avant la guerre s’y rendaient beaucoup de touristes. La visite de Sviatohirsk a détruit mes derniers préjugés sur le Donbass. Cependant, de grandes parties de la ville ont également été détruites, car de violents combats y ont eu lieu en 2022. Durant les trois mois de l'été 2022, la région a été occupée par les Russes. Nastya, Ania et Genia voulaient y organiser un atelier de deux jours pour les enfants locaux dans un centre culturel. Elles ont dû l'annuler à la dernière minute en raison de l'interdiction de l'administration militaire régionale.

Un petit hotel à Sviatohirsk ou enfin ce qui en reste.

Lyman

Cette petite ville située à l'extrême nord-est de l'oblast de Donetsk était notre dernière destination dans le Donbass. Ici aussi, des familles et des enfants continuent de vivre, et un centre de jeunesse local propose diverses activités aux enfants. C'est là que nous voulions livrer du matériel de peinture et de bricolage. L'intensification de l'offensive russe a contrarié nos plans. Au dernier poste de contrôle, à environ 5 km de la ville, nous n'avons pas pu passer. Les soldats qui contrôlaient étaient tout à fait polis et même amicaux, mais les instructions étaient claires : parmi les civiles, que les habitants locaux étaient autorisé à entrer dans la ville.

Sur la photo, on voit la forêt à côté du poste de contrôle, ou ce qu'il en reste. De violents combats ont eu lieu ici en 2022. Après la libération, des centaines de tombes de civils assassinés ont été découvertes à Lyman.

Nous avons ensuite envoyé l'aide pour Lyman par coursier et elle est bien arrivée.

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